La Turquie et les Balkans : « Jamais le Kosovo n’abandonnera Erdoğan ! »
La Turquie et les Balkans : « Jamais le Kosovo n’abandonnera Erdoğan ! »
Par Una Hajdari
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- Meeting de soutien à Erdoğan à Prizren
Les drapeaux turcs et kosovars flottaient sur la place de Shadervan, dans le centre de Prizren, aux côtés de pancartes proclamant : « Le Kosovo t’aime » et « Erdoğan, meilleur ami des Kosovars ».
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« C’est justement à cet endroit qu’en 2010, le Premier ministre kosovar et son homologue turc se sont adressés au peuple du Kosovo. Recep Tayyip Erdoğan est un ami du Kosovo, qu’il aime », lance Burim Shpejti, de l’organisation AKEA aux manifestants réunis à l’initiative du Parti démocratique turc du Kosovo (KDTP).
« Nous nous sommes rassemblés ici, loin de la Turquie, pour montrer notre intérêt pour les événements en Turquie. Nous sommes heureux des progrès de ce pays, mais nous partageons aussi les peines de son peuple. Nous dénonçons les violences et les protestations qui visent le Premier ministre Erdoğan », a lancé devant la foule Festim Avdyli, l’un des organisateurs.
Le KDTP, organisation plutôt conservatrice, représente la minorité turque au Kosovo, officiellement forte de quelque 18.700 personnes, soit un peu plus de 1% de la population totale, selon le recensement de 2011. Le mouvement prétend bénéficier du soutien d’autres partis des minorités kosovares, comme le parti bosniaque DSSP, l’Association de la Jeunesse kosovare, le Parti conservateur et l’organisation Sharski Behar, de la minorité gorani. Même si le Parti démocratique du Kosovo (PDK), au pouvoir, n’a pas exprimé publiquement de soutien à la campagne pro-Erdoğan, le KDTP compte aussi sur son soutien.
Le ministre de l’Administration publique, Mahir Yagcilar, issu des rangs du KDTP, était présent au rassemblement de Prizren, mais n’a pas pris la parole devant les manifestants. Le Forum des jeunes du KDTP de Mamuşa/Mamushë, seule commune majoritairement turque du Kosovo, a aussi affiché son soutien à Erdoğan. « Il est très apprécié par ici », explique son président, Mirat Morina.
Accords commerciaux, proximité culturelle
Les relations entre le Kosovo et la Turquie dépassent la seule présence de la minorité turque sur le sol kosovar. Ces dernières années, les investisseurs turcs ont déversé des millions d’euros au Kosovo. Les échanges entre les deux pays sont aussi culturels : de nombreux Kosovars ont fait leurs études et travaillent en Turquie, où se vit aussi une grande partie de la diaspora albanaise. Le gouvernement kosovar s’est toujours montré favorable au développement des échanges avec la Turquie.
En janvier 2013, le ministère de l’Éducation kosovar a suivi la demande de la Turquie d’apporter quelques changements aux manuels scolaires d’histoire, en adoucissant le langage utilisé pour décrire l’époque de la présence de l’Empire ottoman au Kosovo, qui a duré 450 ans.
Jusqu’ici, le gouvernement kosovar s’est abstenu de tout commentaire sur les protestations qui secouent la Turquie. Interrogé sur la colère populaire contre le Premier ministre Erdoğan, le vice-ministre des Affaires étrangères Petrit Selimi a rappelé les relations proches et excellentes qui unissent le Kosovo et la Turquie. Ces dernières sont le legs d’un solide soutien turc pendant la période de la guerre au Kosovo et après la libération. La Turquie au aussi soutenu le Kosovo auprès de l’Organisation de la coopération islamique (OIC) et l’approfondissement de ses relations avec le monde musulman, a rappelé Petrit Selimi.
Les investissements turcs dynamisent aussi l’économie du Kosovo et les entreprises privatisées. Ainsi, le groupe Limak dirige-t-il l’Aéroport international de Pristina dans le cadre d’un partenariat public-privé. Il participe aussi à un consortium, avec Çalık Holding, une autre compagnie turque, qui domine désormais le réseau kosovar de l’énergie et qui est dirigée par Berat Albayrak, gendre du Premier ministre Erdoğan.
Suat Albayrak, le président de la Chambre économique kosovaro-turque, qui fêtait cette semaine ses cinq ans, se félicite de la présence de nombreux investisseurs turcs importants qui ont choisi le Kosovo.
Un Premier ministre turc apprécié par les Kosovars
Aziz Salihu, ancien boxeur qui a jadis représenté la Yougoslavie aux Jeux Olympiques a organisé une tournée de boxe à Pristina au printemps 2013. Impressionné par un discours de Recep Tayyip Erdoğan, dans lequel ce dernier affirmait que « les Balkans brûleraient de nouveau s’il arrivait quelque chose au Kosovo », l’ancien sportif de haut niveau a voulu exprimer sa reconnaissance.
Pour lui, le Premier ministre Erdoğan est de la même trempe que les grands héros du Kosovo, comme le commandant « légendaire » de l’UÇK, Adem Jashari, ou l’ancien président américain Bill Clinton. Il condamne les critiques dirigées contre le Premier ministre turc et critique l’Occident qui diabolise Erdoğan. « Je ne pense pas que la Turquie a eu dans le passé d’autres dirigeants aussi courageux. Les gens n’aiment pas quand un pays se renforce et ils cherchent alors à l’affaiblir », a-t-il affirmé.
D’autres Kosovars émettent pourtant quelques doutes à voir ainsi Recep Tayyip Erdoğan porté au pinacle. Zana Bajrami est étudiante à l’Université Hacettepe à Ankara. Elle bénéficie d’une bourse du gouvernement turc et la « culture et la langue turque domine dans sa vie », selon sa propre expression. Elle a assisté aux protestations et condamne la réaction de la police, qu’elle juge exagérées. « Les manifestants n’ont pas été respectés et ont beaucoup souffert des réponses de la police. J’ai dû porter un masque à gaz pendant deux semaines pour circuler dans la ville, à cause des gaz lacrymogènes », témoigne cette Kosovare.